L'armoire du pays de Rennes est unique. Epanouie, élancée, somptueusement sculptée, coiffée d'une rare corniche à double cintre, agrémentée d'un panache qui parade tout au faîte du meuble, elle semble seule de son espèce en France. L'armoire lyonnaise peut-être, avec sa corniche à double, voire triple vague, ses opulentes sculptures et ses gigantesques proportions, peut rivaliser. Mais l'armoire lyonnaise est urbaine alors que sa consoeur rennaise, au contraire, est paysanne.
| Où voir le mobilier de Rennes? A partir de l'histoire précise d'une grande ferme de Rennes, l'Ecomusée du pays de Rennes part à la découverte d'un pays et en raconte l'histoire sous ses divers aspects. Expositions permanentes et temporaires consacrées au mobilier du pays de Rennes Ecomusée du pays de Rennes, route de Châtillon-sur-Seiche, 35200 Rennes. |
Campagnards et non citadins en effet, ces étonnants meubles du pays de Rennes ont été principalement fabriqués dans un rayon d'une vingtaine de kilomètres, au nord-ouest de la capitale bretonne. L'épicentre en est un petit village, Pacé, sur la route de Saint-Brieux. C'est là que se concentrent les artisans voués au travail du bois. Or, curieusement, ces menuisiers avaient l'habitude de signer leurs meubles. Un fait tout à fait exceptionnel dans le cas du mobilier régional. On a pu ainsi répertorier et localiser près de 80 signataires. Quelques-uns se déplaçaient de ferme en ferme, où ils étaient logés et nourris, mais la plupart étaient installés dans des ateliers, les "boutiques de menuiserie", qui, transmis de père en fils, virent éclore de véritables dynasties comme les Tullou à La Chapelle-des-Fougeretz ou les Boutin à Pacé ou encore, parmi les plus réputés, les Croizé et les Allory également à Pacé qui oeuvrèrent sans discontinuer du règne de Louis XVI à la IIIe République.
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| Particularité de ce buffets à vitrine : les tiroirs concaves et un plateau découpé en arbalète inversée. Signé, daté, Pierre Jumel, 1856. Antiquités Couffon de Trévros. | La large ceinture de la table | Du siècle de Louis XIV, cette fastueuse armoire a conservé structure rectiligne et portes encadrées de profondes moulurations. |
Signe particulier : la pie royale
Même s'ils ne s'enrichissent pas, loin de là, ces artisans jouissent d'un réel prestige. Leur dextérité à manier le ciseau intrigue et passe pour un don, comme pour les rebouteurs. Certains n'hésitent pas à entourer leur art d'un certain mystère. La légende voulait que l'un d'eux, le sieur Maladri, installé à Saint-Grégoire, ne travaillât que la nuit et se fît aider par de petits diables enfermés dans une boîte. De cet ébéniste on ne connaît effectivement qu'une horloge curieusement ornée d'un chat-huant. Mais l'exemple reste exceptionnel. Les ornements du mobilier rennais sont, en réalité, beaucoup plus savants.
Insensible aux appels du grand large, Rennes, à la différence de Nantes et Saint-Malo, cherche son inspiration à Paris. Les sculptures, délicates comme des broderies, font en effet directement référence au répertoire "savant" en faveur aux XVIIe et XVIIIe siècles : lambrequins et pampilles (glands de passementerie suspendus à des cordonnets) chers à Bérain, le plus célèbre ornemaniste du siècle de Louis XIV, coquille Saint-Jacques à la mode sous la Régence, feuilles d'acanthe et rocaille prisées avec le style Louis XV et, plus rarement, rangées de perles caractéristiques du Louis XVI. Des thèmes champêtres plus locaux, bouquets, corbeilles, rameaux fleuris, viennent compléter le décor. A cela il faut ajouter la pie royale, spécifique au meuble de Rennes : un bel oiseau sculpté, ailes déployées qui pourrait être aussi bien issu de l'immortel Phénix que de l'aigle impérial.
| Adresses des antiquaires Philippe Gledel, 11, rue Jean-Allain, 35300 Fougères. Tél. : 02 99 94 08 44. Jouanolle, 7, rue André-Bonin, 35135 Chantepie. Tél. : 02 99 41 41 93. Couffon de Trévros, 15, rue Hoche, 35000 Rennes. Tél. : 02 99 38 75 95. Bernard Battais, Le bourg, 35420 Le Ferré. Tél. : 02 99 95 12 92. Bobet, Brocante 2000, 7, rue de la Bletterie, 35000 Rennes. Tél. : 02 99 54 54 82. Durif, 14, rue Notre-Dame, 35500 Vitré. Tél. : 02 99 75 22 22. |
Un pays prospère
Svelte sous sa coiffe mouvementée, l'armoire reste le meuble le plus représentatif du pays de Rennes. Les grosses fermes en comptaient parfois six ou sept exemplaires, réparties tout autour de la pièce commune. Du milieu du XVIIIe siècle à la fin du siècle suivant, elle évolue assez pour qu'on en dénombre plusieurs types. Les premières, corniches droites, panneaux losangés ou quadrilobés, font référence aux styles Louis XIII et Louis XIV. Vers le milieu du XVIIIe et jusqu'aux premières années du XIXe siècle apparaît l'armoire plus spécifique à deux portes, divisées en trois panneaux réguliers, très finement sculptés. Le double cintre de la corniche s'impose alors. Plus tardivement les portes se divisent en deux panneaux, séparés d'une traverse sinueuse typiquement Louis XV.
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| Polyvalent, ce petit meuble faisait office de dressoir, garde-manger et égouttoir. Porte garnie de métal percé de trous d'aération. Fin XIXe s. Coll. Ecomusée du pays de Rennes. | "Fait par moi, François Allory, 1807." Datée, signée d'une célèbre dynastie d'ébénistes, somptueuse armoire à corniche à double cintre tout à fait caractéristique. Deux portes à deux panneaux somptueusement moulurés. Ornements sculptés issus des styles Louis XIV et Régence habituels aux meubles rennais : pie royale, rameaux fleuris et coquille Saint-Jacques. Antiquités Ph. Gledel. | Au milieu du XIXe s. l'armoire se simplifie: portes découpées en chapeau de gendarme, corniche à double cintre, panneaux encadrés de moulures chantournées mais pas sculptés. XIXe s. Coll. Jouanolle |
L'étape suivante, vers 1830, simplifie le modèle et offre des panneaux richement moulurés mais dépourvus de sculptures. Il faut attendre ensuite le second Empire pour que des sculptures encore plus abondantes envahissent à nouveau la totalité du meuble.
Pour compléter l'ameublement, le vaisselier, nommé aussi dressoir, s'installe près de la fenêtre, là où l'eau s'écoule vers l'extérieur. C'est un meuble souvent fruste, à plusieurs étagères et égouttoir en partie basse. Les deux-corps en revanche, et plus particulièrement les deux-corps vitrine, ne dédaignent pas un brin d'apparat mais ne se rencontrent que chez les fermiers les plus fortunés. Coffres, maies, garde-manger s'intercalent entre armoires, lits à colonnes ou lits clos (on les nomme les lits carrosse) tout autour de la pièce. Près de la cheminée, la table, entourée de ses "bancelles", est prolongée du "susbout", petite armoire basse où l'on entrepose pain, beurre et crêpes.
Etonnamment précieux, ces meubles paysans que l'on ne rencontre pas dans les maisons rennaises, témoignent de l'extraordinaire prospérité de cette région blottie autour de la capitale bretonne.
| Pour en savoir plus "Menuisiers et mobilier du pays de Rennes", Gwénaël Baron et Elison Clarke, éditions Apogée-Ecomusée du pays de Rennes. "Mobilier Régional, La Haute Bretagne", Edith Mannoni, éditions Massin. |
Armoire deux portes à deux panneaux, encadrés de moulures sinueuses, sculptés.
Corniche double cintre. Merisier massif, patine à l'ancienne. 98 000 F env.
(existe en version simplifiée, non sculptée). René Trotel.
Table à tirettes aménagée en bureau. Deux portes coulissantes sculptées de rameaux fleuris. Façade arrière à cinq tiroirs. Piétement en bois tourné, entretoise en H. 160 x 75 cm. H 77 cm.
Merisier massif. 30 500 F env. Atelier du Vendelais.
Vaisselier-dressoir à corniche double cintre sculptée de rameaux fleuris, soulignée de glands de passementerie ajourés. Etagères à colonnettes et arêtes de poisson. Egout-toir en partie basse. Piétement à patin. Merisier massif nourri à la cire, patine à l'ancienne.
145 x 38 cm. H 227 cm. 35 000 F env. Meubles Prioul.
Adresses des artisans d'aujourd'huiDominique Gravé, 5, place Chêne-vert, 35310 Cintré. Tél. : 02 99 64 07 29. Meubles Prioul, "Les Taillettes", 35520 La Mézière. Tél. : 02 99 66 52 64. Fernand Rondel, "La Claiteraie", 35490 Chauvigné. Tél. : 02 99 97 73 70. Meubles Jouanolle, ZI "Le Bouridel", 35770 Vern-sur-Seiche. Tél. : 02 99 00 44 14. René Trotel, BP 11, "Les Bruyères", 22550 Hénanbihen. Tél. : 02 96 50 44 40. Atelier du Vendelais, 10, rue de la Fontaine, 35210 Chatillon-en-Vendelais. Tél. : 02 99 76 11 73. |
Extrait de l'article de Pierre Faveton, paru dans Art & Décoration n° 358
Photos Bernard Ladoux